"Rékap" : Vue, ouïe, toucher… pour apprendre, utilisons tous nos sens !

Auteur :

Emilie Cochaud-Kaminski

Publié le 20/04/2023 • Mis à jour le 05/05/2023 •

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4 min.

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"Rékap" résume la science : du berceau à l'âge adulte, mobiliser plusieurs sens à la fois améliore nos capacités d’apprentissage. Et ce sont les neurosciences qui l’affirment…

On n’apprend pas que grâce au cerveau. On apprend, et on se remémore aussi avec ses mains, ses oreilles, sa langue, son nez… Prenons le célèbre souvenir de la madeleine. De quoi s’agit-il, au fond ? D’une forme : un petit coquillage allongé. Une couleur : un dégradé mordoré. Une caresse : le moelleux du gâteau qui effleure les lèvres. Mais aussi une saveur : beurrée, légèrement vanillée peut-être ? Ou trempée dans une infusion au tilleul, comme celle de notre cher Marcel Proust…

Notre expérience du monde est semblable à ce gâteau à croquer : elle est totale, multisensorielle. À la naissance, et déjà in utero, nous découvrons notre environnement grâce aux cinq sens. Un éveil que les jeux pour nouveau-nés explorent allègrement : livres tactiles, mobiles multicolores et sonores, tapis d’exploration, balles sensorielles…

Mais en grandissant, cette palette de sensations est souvent délaissée dans l’apprentissage. Or, à en croire les chercheurs Ladan Shams et Aaron R. Seitz, séparer l’esprit et le corps est un tort : voici ce qu’ils nous disent de la science des sens.

Nous sommes des êtres multisensoriels

Dans leur étude intitulée “Les bénéfices de l’apprentissage multisensoriel”, deux chercheurs en psychologie de l’université de Californie, Ladan Shams et Aaron R. Seitz, révèlent qu’engager plusieurs sens simultanément améliore significativement les capacités d’apprentissage et de mémorisation. Leur hypothèse est la suivante : au cours de l’évolution, le cerveau humain a dû s’adapter à son environnement par définition multisensoriel. La traque du gibier, par exemple, nécessite de mobiliser à la fois la vue et l’ouïe pour que la chasse soit fructueuse. La stimulation des sens est à la base de notre vie cérébrale. Nos capacités à stocker et retrouver des informations seraient donc optimales lorsqu’on combine plusieurs sens.

À l’inverse, une méthode d’apprentissage qui s’appuie sur un seul sens serait artificielle : elle nous demande de nous limiter à une seule modalité sensorielle, à rebours de notre fonctionnement naturellement multisensoriel, et sous-exploiterait de ce fait nos capacités cognitives.

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Faciliter la mémorisation

Pour illustrer leur thèse, Ladan Shams et Aaron R. Seitz s’appuient sur plusieurs études. L’une d’elles fixe l’objectif suivant aux participants : être capable de reconnaître la voix de plusieurs personnes. Dans un premier groupe, les participants s’entraînent en écoutant uniquement les voix. Dans le second, un visage est associé à chaque voix. Conclusion : le groupe auquel on a ajouté cette dimension visuelle a bien mieux reconnu les voix !

Au-delà de l’apprentissage immédiat, mobiliser plusieurs sens améliore aussi la mémorisation à long terme, comme le montre une étude similaire menée en 2005 par deux neuropsychologues du centre hospitalier universitaire Vaudois à Lausanne, Sandra Lehmann et Micah Murray.

QUE SE PASSE-T-IL DANS LE CERVEAU ?

Pour expliquer ce phénomène, des chercheurs ont fait passer des IRM à des personnes après des sessions d’apprentissage multisensoriel. Résultat : si on expose une personne à une image qui avait précédemment été associée à un son, le cortex auditif se réactive à la vue de l’objet. De la même façon, une image préalablement associée à une odeur réactive le cortex olfactif.

Conclusion de Ladan Shams et Aaron R. Seitz : "L’exposition multisensorielle permet aux stimuli d’être encodés dans des représentations multisensorielles, ce qui va plus tard activer des zones du cerveau plus larges qu’avec un encodage unisensoriel [c’est-à-dire ne sollicitant qu’un seul sens]". En d’autres termes, la multisensorialité permettrait de solliciter une zone plus étendue du cerveau. Voilà qui pourrait expliquer les bienfaits de ce type d’apprentissage.

La pédagogie par les sens

D’accord, mais comment appliquer tout cela dans la vraie vie ? Eh bien, concrètement, si vous voulez apprendre à votre enfant à reconnaître un oiseau, ne vous contentez pas d’ouvrir un livre d’ornithologie ! Pour ancrer l’apprentissage, mieux vaut, en plus de la photo ou de la vidéo de l’oiseau, lui faire écouter le chant du volatile simultanément. La combinaison des deux sens vue-ouïe permettra de reconnaître l’oiseau plus facilement… et durablement.

Bien avant que les neurosciences ne décortiquent ces phénomènes, une certaine Maria Montessori pressentait déjà l’importance des sens… il y a plus d’un siècle. Une large part de la pédagogie Montessori, dont les méthodes ont essaimé dans le monde entier, mêle en effet les approches visuelles, auditives, tactiles et kinesthésiques (c’est-à-dire les mouvements du corps). On peut citer certains outils sensoriels classiques de Montessori, comme les lettres ou les chiffres rugueux.

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Ces dernières décennies, des méthodes de lecture se sont développées en misant sur la multisensorialité, comme Jolly phonics, qui combine la vue, l’audition et la kinesthésie pour l’apprentissage des sons. Lorsque l’enfant prononce le phonème /s/, il fait un serpent avec son bras ; lorsqu’il prononce le phonème /k/, les mains imitent le cliquetis des castagnettes, etc.

D’autres pédagogues ont développé des méthodes basées sur la multisensorialité pour faciliter l’apprentissage des élèves dyslexiques. Et de plus en plus de crèches intègrent la langue des signes dans les apprentissages, y compris pour les enfants entendants.

De l’aveu des chercheurs Ladan Shams et Aaron R. Seitz, la compréhension des interactions entre capacités cognitives et multisensorialité n’en est encore qu’à ses débuts. Et bien d’autres approches sont encore à inventer pour développer de nouvelles façons d’apprendre, en s’appuyant sur la vue, l’ouïe, le toucher. Et pourquoi pas l’odorat et le goût… En somme, moins de par cœur, plus de place pour le corps !

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📚 Sources

"Benefits of multisensory learning", Ladan Shams et Aaron R. Seitz, Trends in cognitive sciences, 2008

"Quand faire des gestes permet de mieux apprendre", Karen J. Pine, Tracy Knott et Ben C. Fletcher, Enfance, 2010

"The role of multisensory memories in unisensory object discrimination", Sandra Lehmann et Micah M. Murray, Cognitive Brain Research, 2005

"Implicit Multisensory Associations Influence Voice Recognition", Katharina von Kriegstein et Anne-Lise Giraud, Plos Biology, 2006

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