"Askip" il ne faut pas parler comme des idiots aux bébés

Auteur :

Emilie Cochaud-Kaminski

Publié le 04/05/2023 • Mis à jour le 06/06/2023 •

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Parler à un bébé avec un ton un peu niais, qui ne l’a jamais fait ? Plus ou moins consciemment d’ailleurs… et pas toujours en assumant ! Car ce “langage parental”, quasi universel, est souvent critiqué. Pourtant, il a une utilité bien documentée.

"Tu es un joli bébé toi ! Oh ouiiiiiiiii… Ça c'est un joli bébé, avec des boooonnes joues !" Vous avez reconnu la radio gaga ? Vous savez, cette voix qui part dans les aigus, le sourire exagéré, et cette propension à répéter toutes les phrases deux fois quand on parle à un nouveau-né. Cucul, voire carrément débile ? Le "parler bébé", aussi appelé "parentais", divise. À l’instar de la tétine ou du cododo, il a ses adeptes… et ses détracteurs qui lèvent les yeux au ciel devant cette Commedia dell’arte.

Une signature acoustique unique… et universelle

Clarifions tout de suite, il ne s’agit pas de "parler comme un bébé" en sabotant la grammaire, en inventant ou en remplaçant des mots (dire "le manger" au lieu de "la nourriture", "totote" ou autre "tutute" pour "tétine", "lolo" à la place du "lait"), mais bien de la façon dont on parle.

Concrètement, le parentais, c’est un peu comme si l’on déclamait "La Grenouille à grande bouche" non-stop. Cela consiste à articuler à outrance, à parler plus lentement, et à adopter une voix haut perchée, en s’exclamant par exemple : "Regaaaarde, ça c’est leeee chaaaaat !". La signature acoustique du parentais est unique, observe une étude de l’université de Washington parue en 2020 : "Les adultes qui par[lent] le parentais se positionnent presque sur l’octave au-dessus, exagèrent leurs intonations de voix, et utilisent un tempo significativement plus lent, en rallongeant les voyelles." À l’oreille, cela donne des sons particulièrement modulés, presque comme si l’on chantait.

Des communautés variées, étudiées sur 6 continents et dans 18 langues, utilisent toutes le parentais pour parler à leurs bébés.

Une mélodie que l’on reconnaît tous, même lorsqu’on écoute une langue étrangère. Des chercheurs de l’université de Yale ont ainsi demandé à 50 000 personnes de 187 pays de déterminer si des paroles et des chansons s'adressaient à un bébé ou à un adulte. Dans 70% des cas, les participants ont vu (ou plutôt entendu) juste, quelle que soit la langue. Pour faire le test, du reste plutôt amusant, c’est ici.

Et de fait, le “parentais” (“parentese” en anglais, qu’on appelle aussi parfois “motherese” ou en français “mamanais”) est une “langue” utilisée de manière quasi universelle par l’espèce humaine, par-delà les cultures et les langues, comme le montre une étude publiée en 2022 dans la revue Nature Human Behavior (l’étude a porté sur 6 continents, 18 langues et une grande diversité de communautés).

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Transmettre la structure du langage

Depuis longtemps, les études constatent que les nourrissons préfèrent qu’on s’adresse à eux en parentais. En retirent-ils quelque chose pour autant ? La réponse est oui. Dans son étude sur le parentais, la linguiste et phonéticienne Titia Benders résume :

"Cette façon de parler aux jeunes enfants exprime des émotions positives et retient l’attention de l’enfant, mais elle leur transmet aussi la structure du langage."

En effet, accentuer les mimiques du visage, les sons et les intonations permettrait non seulement aux bébés de comprendre les intentions de leur interlocuteur, mais les aiderait aussi à mieux distinguer les sons, segmenter la phrase et différencier les mots les uns des autres. Le parentais laisserait aussi plus de temps et d’espace aux nourrissons pour répondre et imiter leur interlocuteur. Tout cela, à terme, aurait des effets positifs sur le développement du langage et du vocabulaire.

« Beaucoup de parents n’en ont pas conscience »

En d’autres termes, au-delà de la quantité de mots à laquelle on expose un bébé, la manière dont on lui parle a un rôle crucial dans l’acquisition du langage. L’expérience de l’université de Washington de 2020, citée plus haut, a ainsi enregistré et analysé les échanges entre 71 enfants et leurs parents. Dans le premier groupe, les parents avaient été sensibilisés et « coachés » sur le parentais, mais pas dans le second. Résultat : à partir de l’âge de six mois, les bébés du premier groupe babillaient plus. Et à un an et demi, les bébés les plus exposés au parentais utilisaient plus de mots que les autres.

À six mois, les bébés exposés au parentais babillent plus que les autres ; à dix-huit mois, ils utilisent plus de mots.

"La façon dont les parents parlent à leurs jeunes enfants est fortement associée au développement du langage, mais beaucoup de parents n’en ont pas conscience", observe l’étude. Ceux qui bêtifient sans vergogne en public peuvent donc continuer à se faire plaisir. Quant à ceux qui se retranchent derrière leur timidité, il est temps de se lâcher. La science vous l’autorise : vous pouvez gâtiser. Vous verrez d’ailleurs que votre recours au parentais s’atténuera naturellement, à mesure que les enfants commenceront eux-mêmes à parler !

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