Encore ! Encore ! Pourquoi les enfants sont accros à la répétition

Auteur :

Emilie Cochaud-Kaminski

Publié le 06/06/2023 • Mis à jour le 07/06/2023 •

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5 min.

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Maman, papa, raconte-moi la même histoire ! Encore ? Mais on l’a déjà lue hier ! On vous entend pester. Et pourtant, c’est votre enfant qui a raison : la répétition joue un rôle crucial dans son développement.

Ah, la routine, elle a bien mauvaise réputation. Impitoyables, les adultes l’associent à l’ennui, à une vie triste, morne et sans relief. À écouter certains, il faudrait même… la fuir. Mais dans le monde de l’enfance, où le temps semble étirable à l’infini, elle est tout le contraire : la répétition est source de bien-être et de joie. Les tout-petits la chérissent, et le font volontiers savoir.

Revoir plusieurs fois le même épisode de Pat Patrouille les ravit, et ils adorent écouter le même livre en boucle. Jusqu’à épuisement… des parents en tout cas ! On peut le constater en observant le plaisir qu’a un enfant à terminer les phrases de son livre préféré. Ou lorsqu’il réclame CE passage en particulier, qui le fait éclater de rire à chaque fois.

Au commencement était la répétition

Ce qui est prévisible et familier le rassure et le sécurise. Et cela commence très tôt, in utero : les études montrent par exemple que les fœtus préfèrent la voix de leur mère (entendue pendant plusieurs mois) à celle d’inconnues, et qu’ils développent déjà leur goût en matière d’alimentation pendant la grossesse. Les fœtus exposés à certaines saveurs dans le liquide amniotique auraient ainsi plus de chances de les apprécier après la naissance.

"On constate souvent que les très jeunes enfants préfèrent la familiarité à la nouveauté. C’est une caractéristique du stade d’apprentissage précoce", résument les chercheuses australiennes Jane Hebert et Elisabeth Duursma. "Les plus jeunes enfants ont besoin de plus de temps pour enregistrer des informations et ils les oublient plus vite", ajoutent-elles.

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Un pilier de l’apprentissage

Cela peut paraître contre-intuitif, mais lire régulièrement les mêmes livres aux jeunes enfants leur permettrait donc de mieux engranger du vocabulaire que si on leur présente une nouvelle histoire chaque soir sans jamais y revenir. C’est en tout cas la conclusion de trois chercheuses de l’Université de Sussex, au Royaume-Uni.

Lire régulièrement les mêmes livres aux jeunes enfants leur permettrait de mieux engranger du vocabulaire que si on leur présente une nouvelle histoire chaque soir

Pour leur étude, elles ont exposé des enfants de trois ans à deux nouveaux mots, totalement inventés pour l’occasion. Pendant une semaine, elles ont adopté deux stratégies différentes :

  • Le premier groupe a écouté trois histoires différentes qui contenaient les deux nouveaux mots.
  • Le deuxième groupe a écouté trois fois la même histoire, toujours avec les deux mots en question.

Résultat : ceux qui avaient écouté trois fois la même histoire montraient de meilleures performances, et l’écart était significatif sur la mémorisation des mots.

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"Cela suggère que ce n’est pas la quantité de livres, mais la répétition de chaque livre qui améliore l’apprentissage", avance Jessica Horst, à la tête de l’étude.

"Ce qui nous semble se passer, c’est qu’un enfant retire de nouvelles informations à chaque fois qu’il écoute le livre. La première fois, c’est peut-être juste l’histoire, la deuxième les détails des descriptions, et ainsi de suite. Si le nouveau mot est introduit dans une variété de contextes  ce qui s’est passé avec ceux à qui on a lu trois histoires différentes , l’enfant est moins susceptible de se concentrer sur le nouveau mot."

Être actif pour optimiser la mémorisation

La répétition d’une même information est donc une condition sine qua non de l’apprentissage. Certes, mais elle ne se suffit pas à elle seule. D’autres facteurs entrent en jeu, et toute répétition ne se vaut pas, notamment en matière de mémorisation. 

"Le fait d’avoir compris et le fait d’avoir cherché [le sens d’une phrase, la solution d’un problème…] déterminent de façon très importante la mémoire", explique le neuroscientifique français Stanislas Dehaene. 

Pour prolonger la mémorisation au-delà de l’apprentissage immédiat, mieux vaudrait donc "engager" l’apprenant, et passer d’une répétition passive à une répétition active. L’effort faciliterait l’ancrage dans le cerveau. Et cela vaut quel que soit l’âge.

Ainsi, une étude publiée en 2010 par des chercheurs américains a démontré ce paradoxe concernant les étudiants. Un groupe a été mis face à une phrase au sens ambigu, accompagnée d’un “indice” pour l’interpréter. L’autre n’a reçu l’indice qu’au bout de quelques secondes ; c’est ce deuxième groupe, qui a dû passer du temps seul à réfléchir à la phrase, qui l’a au final mieux retenue. "Rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles ce qui oblige les étudiants à un surcroît d’engagement et d’effort cognitif conduit souvent à une meilleure rétention", écrivent les auteurs de l’étude.

Pour les jeunes enfants, on peut par exemple leur poser des questions au cours de la lecture d’un livre : sur les images qu’ils voient, le vocabulaire ou l’intrigue. Les laisser chercher… et trouver par eux-mêmes.

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Espacer pour durer

Idéalement, il faudrait aussi égrener l’exposition dans le temps. "Pour mémoriser une information, il faut la répéter. Et l’intervalle de répétition va définir la durée de la mémoire", estime Stanislas Dehaene dans une interview donnée à France Culture.

Pour favoriser une mémorisation profonde, dit-il, "il vaut mieux distribuer un peu tous les jours cet apprentissage plutôt que de le concentrer en une seule fois. Mieux vaut un quart d’heure tous les jours plutôt qu’une heure quelques jours par semaine, en particulier au regard de la mémoire à long terme."

Un conseil facile à appliquer aux apprentissages scolaires. Quant aux livres, on peut non seulement continuer à les lire en boucle aux tout-petits, mais aussi les ressortir des étagères à intervalles réguliers : trois mois, six mois, un an, des années après... Pas de date limite pour réactiver le souvenir, et en tirer tous les bienfaits.    

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